Rencontre avec Chatila

16 septembre 2002, je suis dans un groupe d’Européens venus participer à la commémoration 20 ans après les massacres de Sabra et Chatila. Manifestation bruyante et plutôt bon enfant qui aboutit dans le Mémorial, petit champ clos avec quelques panneaux d’images des massacres. Nous sommes là peut-être un millier de personnes, il y a des prises de paroles, la nuit commence à tomber et c’est petit à petit que je réalise que nous sommes en train de piétiner le lieu même où sont inhumées les victimes. Là commence ma relation avec le camp de Chatila et ses habitants.
Jean-Yves Boiffier.

16th september 2002, I am with a group of European people who came for the 20th commemoration of Sabra and Shatila massacre. It is at the same time a noisy and peacefull demonstration arriving in the Memorial, a small closed field with some pannels showing images of massacre. Maybe we are here a thousand of people, there are some speeches, night begins to fall and, step by step, I realize that we are standing on the true place where the victims bodies are buried. That the beginning of my relationchip with Shatila camp and its inhabitants.
Jean-Yves Boiffier

vendredi 17 décembre 2010

Après le vote du parlement libanais, la situation sociale des réfugiés palestiniens s'améliore-t-elle ?

Nous avions reproduit l'article du Monde informant de l'amélioration des droits civiques des réfugiés palestiniens au Liban dans ce blog le 27 août. La situation n'a pour autant pas changé et les Palestiniens du Liban n'ont pas vu leur droits civiques progresser. Lorsque nous sommes allés à Göteborg au mois de septembre, voir le post du 22 octobre, nous avions interrogé Abu Moujahed à ce sujet. Il nous avait dit que tout cela n'aurait aucune conséquence positive pour eux et que cette nouvelle loi ne changerait rien à la condition misérable des réfugiés palestiniens.

Recevant le bulletin d'information de l'Association Française de Soutien aux Réfugiés du Liban AFRAN-SAUREL, association amie, nous en avons la confirmation dans un article assez complet de Francis Gras dont voici un large extrait :

"Depuis 1964, le travail des étrangers au Liban est subordonné à l'obtention d'un permis de travail délivré par le ministère libanais du travail, valable seulement pour un an renouvelable. Cette autorisation et le bénéfice de certains droits tels que l'indemnité de licenciement et la couverture par la sécurité sociale des frais de maladie est subordonnée au principe de réciprocité. Ce dernier conditionne l'application de ces droits pour les étrangers travaillant au Liban aux droits réciproques que les Libanais eux-mêmes se voient reconnus lorsqu'ils travaillent dans les pays dont ces étrangers sont originaires. On voit tout de suite ce qui en résulte pour les réfugiés palestiniens qui sont considérés comme des étrangers au Liban mais demeurent des apatrides et le demeureront tant que ne sera pas créé un Etat palestinien : aucune protection ne peut être accordée en vertu de ce principe à un travailleur palestinien.


De plus, l'exercice d'une profession libérale, selon la législation libanaise, ne peut se faire que dans le cadre de ce que l'on appelle en France "les ordres" (médecins, avocats, architectes, ingénieurs..) Or le régime intérieur de ces ordres exige de ses membres la nationalité libanaise depuis au moins dix ans. A ce titre, par exemple, les médecins palestiniens, même s'ils ont acquis les diplômes leur permettant d'exercer, ne peuvent le faire qu'auprès des centres du Croissant Rouge dépendant de l'OLP ou dans les secteurs sanitaires dépendant de l'UNRWA.


Jusqu'en 2005 les ministres du travail qui se sont succédés et qui disposent du droit de déterminer les professions exclusivement réservées aux Libanais avaient rendu inaccessibles aux réfugiés palestiniens 70 métiers. En 2005, le ministre du travail de l'époque, Trade Hamane, saisi d'une "empathie pour ces réfugiés" publie un mémorandum limitant à 20 le nombre de professions interdites en dehors des professions libérales toujours inaccessibles. Si depuis cette date, il est en principe possible à un Palestinien d'être salarié d'une entreprise libanaise pour une activité n'entrant pas dans le cadre des 20 professions, en revanche, ils ne peuvent toujours pas bénéficier des prestations sociales et médicales dont jouissent leurs homologues libanais quand bien même des cotisations sociales sont prélevées sur leurs salaires et versées aux caisses de la sécurité sociale libanaise.


Qu'apporte de nouveau la loi du 17 août 2010 ? En positif elle inscrit dans le marbre le mémorandum de 2005 en ce qui concerne l'accès à certaines professions et elle supprime le paiement par l'employeur de la taxe qui était exigée pour obtenir un permis de travail pour l'employé palestinien, taxe qui était particulièrement élevée. Mais, et là réside la principale inquiétude pour les réfugiés palestiniens au Liban, cette modification sera-t-elle suffisante pour accroître le nombre de permis de travail délivrés chaque année par le ministère du travail? Beaucoup de Palestiniens en doutent au vu des chiffres officiels qui apparaissent dérisoires : moins de 500 depuis 1977 et surtout en diminution constante depuis le mémorandum de 2005 (105 en 2007, 79 en 2008, 66 en 2009). Cette situation ne sera pas modifiée avec la nouvelle loi. En effet la délivrance du permis de travail à un réfugié palestinien est conditionnée à l'existence d'un contrat de travail avec son employeur qui soit conforme aux conventions notamment en ce qui concerne la nature de ce travail et le salaire versé ainsi que les cotisations sociales à la charge de chacune des parties. Très peu d'employeurs seront disposés à faire cette démarche. Cela revient donc pour les Palestiniens à continuer à travailler au noir pour des salaires nettement plus faibles que ceux accordés aux Libanais et avec pour seul et unique avantage de ne pas être en flagrant délit d'emploi irrégulier."

samedi 4 décembre 2010

Projection du film "Chatila, les femmes et les enfants"



Le film "Chatila, les femmes et les enfants" de Denys Piningre a été projeté le 17 novembre au cinéma La Clé à Paris. La salle, une centaine de place, était pleine et la projection a été suivie d'un débat en présence de Denis Sieffert, directeur de publication du journal Politis. La grande connaissance de la situation au Moyen-Orient de Denis Sieffert a enrichi les échanges et permis de mieux appréhender les questions complexes des événements au Liban qui ont abouti aux massacres de Sabra et Chatila les 15,16 et 17 septembre 1982.

Abu Moujahed, directeur du CYC
Abeer Kassem, coordonatrice du CYC
Ce film est le fruit d'un projet de l'association dont Denys Piningre est l'un des membres fondateurs. Nous avions souhaité disposer d'un film qui montrerait notre travail à Chatila et permettrait de développer notre action. La rencontre avec celles et ceux qui sont devenus les personnages du film a transformé le projet de Denys Piningre. Il a réalisé un film beaucoup plus ambitieux, décrivant la situation générale au camp et surtout permettant au spectateur de découvrir ces personnages, de s'en sentir proche et nouer un lien fort avec eux. Le résultat est que nous avons un beau film sur Chatila qui sera utile à toutes celles et ceux qui veulent mieux connaître ce que vivent les réfugiés Palestiniens au Liban. Il permettra certainement de remplir son objectif initial de contribuer au développement de notre association.

vendredi 22 octobre 2010

Retour de Göteborg

Toute notre équipe à la Fredloppet, Jean-Yves, Nestor, Abu Moujahed, Eva et Denys.
Eva et Nestor font partie de l'équipe suédoise ayant créé l'association de parrainage des enfants de Chatila.
A l'occasion de la 26ème édition de La Course pour la Paix, Fredloppet chez nos amis Suédois, placée cette année sous le signe de la Palestine, nous avons passé quelques jours à Göteborg. C'est d'ailleurs le jeune Palestinien venant de Béthléem qui a gagné la course et de belle manière.
Le vainqueur
Abu Moujahed debout
Nous étions les hôtes du PFF, c'est-à-dire le Club de Foot Prolétarien de Göteborg. Nous avons pu faire plus ample connaissance de l'association suédoise qui nous a servi de modèle. Un peu plus de soixante-dix adhérents qui sont très présents, vont régulièrement à Chatila et collectent plus de 50 000 € par an. C'est très encourageant pour nous. Cette association a été créée il y a douze ans et progresse depuis en continuant de privilégier les relations personnelles, prenant le temps de faire connaître son action, le sens de son engagement auprès de chacun de ses nouveaux adhérents.
Avec Marianne, une des personnes à l'origine de l'association suédoise, et Abu Moujahed dans les locaux du Proletarian Foot-ball Club.
Comme il y a des soutiens au CYC de Chatila dans d'autres pays européens, Autriche et Italie, nous envisageons la création d'un réseau européen des associations d'aide aux enfants de Chatila.


Notre activité continue en France. Si vous êtes en région parisienne le 17 novembre, rendez-vous au cinéma La Clé à 20h00 pour la projection du film de Denys. C'est bien évidemment un temps fort pour nous et une occasion de se rencontrer et débattre de la situation des Palestiniens de Chatila.

vendredi 27 août 2010

Le Parlement libanais accorde plus de droits civiques aux Palestiniens

Article paru dans l'édition du 19.08.10 du journal Le Monde.
Les réfugiés, aujourd'hui 400 000, pourront exercer quasiment tous les métiers au pays du Cèdre, sans avoir le droit à la propriété privée








e Liban a corrigé une injustice historique, qui empoisonnait ses relations avec 
les réfugiés palestiniens installés sur son territoire, en accordant à ces derniers 
des droits civiques de base. Le texte approuvé mardi 17 août par le Parlement devrait 
leur permettre d'accéder à une forme de protection sociale ainsi qu'à de nombreuses 
professions que la loi leur interdisait jusque-là d'exercer.

Les Palestiniens, dont le nombre au Liban approche 400 000, soit 10 % de la 
population, seront désormais traités comme tous les travailleurs étrangers. Alors que 
les restrictions en vigueur les condamnaient à vivoter dans le secteur informel, ils 
pourront être embauchés en toute légalité au sein d'une entreprise.
« C'est un pas dans la bonne direction, estime Nadim Khouri, responsable de 
l'organisation de défense des droits de l'homme Human Rights Watch au Liban. 
Cela doit s'accompagner de réformes administratives et de campagnes de 
sensibilisation auprès des employeurs. » Le docteur Ali Zein, une figure de la 
société civile, proche de la gauche palestinienne durant la guerre civile (1975-1990), 
applaudit également cette première. 
« C'est la légalisation d'une situation de fait, car beaucoup de patrons embauchaient 
des Palestiniens au noir. Mais c'est très important de légaliser. Si un Palestinien veut 
ouvrir une usine, il n'y a en principe plus de problème. »
La nouvelle loi ne lève pas tous les obstacles dressés devant les Palestiniens, arrivés 
au Liban depuis la création d'Israël en 1948 et qui vivent pour la moitié d'entre eux 
dans des camps surpeuplés et insalubres. Comme tous les étrangers au Liban, l'accès 
aux professions libérales nobles, comme médecin ou avocat, leur est interdit par les 
ordres qui régissent ces corps de métier. Leur capacité de voyager à l'étranger est 
soumise à un dédale de règlements. L'élément le plus audacieux du projet de loi, 
l'accès à la propriété privée, a dû être abandonné du fait du tollé qu'il risquait de 
provoquer. Dans un pays mosaïque, parcouru de tensions confessionnelles, dont la 
survie passe par un savant dosage des pouvoirs entre sunnites, chiites et chrétiens, 
toute mesure susceptible de mener à une naturalisation des Palestiniens, et donc à 
un accroissement du poids de la communauté sunnite, suscite une levée de boucliers 
immédiate. « Il y a tout un passif, dans le conscient et l'inconscient collectif libanais 
à l'égard des Palestiniens, dit Scarlette Haddad, journaliste au quotidien L'Orient-Le Jour. 
Beaucoup de Libanais estiment qu'ils ont voulu créer un Etat dans l'Etat et qu'ils sont 
responsables de la guerre civile. »
« Un tabou est tombé »
Signe malgré tout d'une relative détente, le projet de loi porté par le gouvernement du 
sunnite Saad Hariri a remporté les suffrages de la quasi-totalité des partis. 
L'opposition des formations chrétiennes, traditionnellement hostiles aux Palestiniens, 
s'est diluée dans les deux blocs à majorité chiite et sunnite qui dominent la politique 
libanaise. Les Kataëb et les Forces libanaises ont suivi la consigne du Courant du 
futur, le mouvement du premier ministre Hariri dont ils sont les alliés. Quant au 
Courant patriotique libre du général Michel Aoun, il s'est rangé à l'avis de son 
imposant partenaire, le mouvement chiite Hezbollah, qui, en tant que champion 
autoproclamé de la cause palestinienne, ne pouvait qu'approuver la loi.
Une alliance de circonstance, donc, a permis d'ouvrir une brèche dans le mur de 
discriminations auquel les Palestiniens du Liban sont confrontés. « Un tabou 
psychologique est tombé, dit Scarlette Haddad. La suite devrait être plus facile. »

Benjamin Barthe



dimanche 15 août 2010

Il y a deux ans disparaissait Mamhoud Darwich


Nous souffrons d'un mal incurable qui s'appelle l'espoir. Espoir de libération et d'indépendance. Espoir d'une vie normale où nous ne serons ni héros ni victimes. Espoir de voir nos enfants aller sans danger à l'école. Espoir pour une femme enceinte de donner naissance à un bébé vivant dans un hôpital, et pas à un enfant mort devant un poste de contrôle militaire. Espoir que nos poètes verront la beauté de la couleur rouge dans les roses plutôt que dans le sang. Espoir que cette terre retrouvera son nom original : terre d'amour et de paix. Merci de porter avec nous le fardeau de l'espoir.





Dans la tête et dans le cœur, j'avais ces mots que Mamhoud Darwich avait prononcés au Parlement International des Écrivains le 25 mars 2002 à Ramallah lorsque je suis venu pour la première fois à Chatila. Le poète s'en est allé il y a maintenant deux ans. Son chant est resté.




EST-CE EN UN TEL CHANT

Est-ce en un tel chant que nous ferons reposer le rêve sur la poitrine d'un chevalier
Auquel nous prendrons la dernière chemise, le signe de la victoire et la clé de la dernière porte
Pour entrer dans la première mer qui se présente ? Paix sur toi, compagnon du lieu qui n'a pas de lieu.
Paix sur tes pieds / les bergers oublieront les traces de tes yeux sur le sable.
Paix sur tes bras / la gélinotte passera de nouveau par ici.
Et paix sur tes lèvres / la prière sera célébrée dans le champ.
Que dirons-nous à la braise de tes yeux ? Que dira l'absence
A ta mère ? Qu'il s'est endormi dans le puits ? Et que diront les conquérants? Nous avons vaincu le nuage de la voix au mois d'août ?
Et que dira la vie à Mamhoud Darwich ? Tu as vécu, aimé, connu, et tous ceux dont tu seras amoureux sont morts ?
Est-ce en un tel chant que nous ferons reposer le rêve, emporterons le signe de la victoire et la clé de la dernière porte
Pour refermer ce chant sur nous ? Mais nous vivrons malgré tout car la vie est la vie.

Dans une traduction d'Abdellatif Laâbi, ce poème a été publié dans le recueil PLUS RARES SONT LES ROSES par Les Editions de Minuit en 1989.



Images réalisées par Ernest Pignon-Ernest et collées par l'artiste en Cisjordanie l'année dernière. Je vous recommande sa magnifique exposition actuellement à l'Espace Encan à La Rochelle jusqu'au 22 août. Si vous êtes à proximité, n'hésitez pas pour aller la voir.


mercredi 7 juillet 2010

Jours intranquilles à Nar El Bared, ou la mort d'un enfant

Yahiya Lubani avait douze ans. Il est mort jeudi 24 juin dans l'effondrement d'un pan de mur de sa maison.  Sa famille vivait à Nar El Bared, le camp détruit par l'armée libanaise en 2007. Elle faisait partie des familles aidées par le Chidren and Youth Center dans son antenne de Nar El Bared. Depuis la destruction du camp, les 35000 réfugiés palestiniens qui vivaient dans ce camp en ont été chassés et survivent dans des conditions impossibles aux alentour du camp détruit. On leur a promis une reconstruction qui ne vient pas. Yahiya s'était rendu dans leur maison détruite pour la première fois depuis leur expulsion et travaillait à déblayer les gravats et remettre en état ce qui pouvait l'être. 



De nombreux enfants palestiniens meurent dans la Bande Gaza et dans les territoires occupés, tués dans des opérations militaires ou tout simplement par faute de soins. D'autres enfants palestiniens meurent aussi comme Yahiya parce qu'ils vivent sans protection dans un monde où les Palestiniens n'ont pas de droits, pas de reconnaissance et sont victimes de conflits, de discriminations, d'exclusions sans qu'ils puissent jamais agir sur leur destin. Leurs droits élémentaires ne sont pas respectés.


N'oublions pas les réfugiés palestiniens du Liban.



Des enfants palestiniens dansent le Dabké, danse traditionnelle, devant les ruines du camp de Nar El Bared.



vendredi 25 juin 2010

Les massacres, article de Pierre Péan dans le Monde Diplomatique, septembre2002

« Le passé, c'est encore le présent »
Sabra et Chatila, retour sur un massacre

Dans les territoires de Cisjordanie et de Gaza, l'armée israélienne poursuit sa politique d'occupation, de blocus des villes, de destruction des institutions civiles, de chasse aux militants, d'assassinats ciblés. Pour la première fois, elle a reconnu qu'elle utilisait des « boucliers humains » dans ses opérations, un crime de guerre selon les conventions internationales. C'est un long calvaire qui se poursuit ainsi. Le massacre de Sabra et Chatila perpétré il y a vingt ans, en septembre 1982, qui vit l'assassinat de centaines de civils dans les camps du Liban par les milices libanaises de droite, sous l'œil complice des soldats israéliens, est vécu par les Palestiniens comme une étape supplémentaire dans une histoire ponctuée de massacres et d'exactions, de Deir Yassine à l'opération « Rempart », en passant par Qibya. Pour eux, le passé, c'est encore le présent.


Vingt ans après, les mots des livres réouverts, comme les paroles recueillies auprès des survivants dans ce qui reste des camps de Sabra et Chatila dégoulinent de sang. Le temps n'a rien lavé. Tout au long de mon enquête, j'ai été tétanisé par ces récits qui charrient, enchevêtrés, enfants égorgés ou empalés, ventres de femmes ouverts avec leurs foetus, têtes et membres coupés à la hache, monceaux de cadavres... Jusqu'à la nausée.

Je ne suis pas entré dans ce qui reste des camps de Sabra et Chatila par la porte principale, mais par un quartier insalubre, en périphérie, dans lequel vivent les nouveaux arrivants, notamment d'Asie. Je débouche sur la « grande rue » qui reliait l'hôpital Gaza - aujourd'hui disparu - à l'entrée principale située près de l'ambassade du Koweït, au luxe aussi incongru que celui de la nouvelle Cité sportive toute proche, où étaient regroupés et interrogés les adultes palestiniens et libanais ayant échappé au massacre. Les gens s'y faufilent entre les boutiques, les étals de marchands de fruits, de CD, de produits neufs et usagés, entre les voitures et les scooters...


Comment choisir entre tous les témoins directs ou indirects des massacres qui, sans hausser la voix, font revivre pour moi les scènes d'horreur de la mi-septembre 1982 ?

Mme Oum Chawki, 52 ans, a perdu dix-sept personnes de sa famille, dont un fils de 12 ans et son mari. Elle habitait dans le quartier de Bir Hassan, près de l'ambassade du Koweït. Après les massacres, elle s'est installée, avec ses douze enfants restants, dans la rue principale de Chatila. Elle vit au quatrième étage d'un bâtiment construit selon des règles d'architecture approximatives. L'intérieur est propre, des bouquets de fleurs artificielles complètent les couleurs des fauteuils et des reproductions collées ou accrochées au mur - Al Qods (Jérusalem) et le drapeau du Hamas. Même si elle n'appartient pas à cette organisation : « Je n'adhère à rien. Je ne m'engagerai que lorsque je serais sûre du résultat. » Et ses enfants ? « Je ne veux pas qu'ils se sacrifient pour rien, mais le jour où je serai sûre d'assouvir ma vengeance, je les encouragerai et je serai avec eux... »

Chaque jour et chaque nuit, elle revoit les images de cadavres, de gens mutilés, de son fils et de son mari qu'elle n'a jamais revus et dont elle ne sait rien. Les couleurs du salon n'arrivent pas à atténuer le noir de sa robe, de ses cheveux et de ses yeux. Mme Oum Chawki ne sourit pas et s'enflamme sans élever la voix quand elle revit la deuxième tragédie de sa famille (la première ayant été le départ en 1948 de Tarshiha, un village près de Haïfa).

On a frappé à la porte de la maison. Quelqu'un a dit : « Nous sommes libanais, nous venons faire une perquisition pour chercher des armes... » Mon mari a ouvert la porte, pas spécialement inquiet, car il n'appartenait à aucune organisation combattante. Il travaillait au club de golf, près de l'aéroport.

Mme Chawki parle ensuite des trois soldats israéliens et d'un militaire des Forces libanaises, les milices chrétiennes de droite, qui sont entrés dans la maison, ont pris les bracelets de sa fille et arraché ses boucles d'oreille - elle montre le lobe déchiré d'une de ses oreilles - et les ont frappés.

Elle est certaine que ces soldats venaient d'Israël.

Leurs uniformes étaient différents de ceux des Forces libanaises et ils ne parlaient pas en arabe. Je ne sais pas si c'était de l'hébreu, mais je suis sûre que c'étaient des Israéliens.

Ce n'est pas impossible, car le quartier de Bir Hassan, hors du périmètre des camps, était occupé par l'armée israélienne. Comme d'autres familles palestiniennes, celle d'Oum Chawki avait été transportée à l'intérieur des camps.

On nous a fait monter dans une camionnette, qui a roulé vers l'entrée du camp de Chatila. Les militaires ont séparé les hommes des femmes et des enfants. Le Libanais a pris les papiers de trois de nos cousins avant de les abattre devant nous. Mon mari, mon fils et d'autres cousins ont été emmenés par les Israéliens.

Les femmes et les enfants sont partis à pied vers la Cité sportive. Sur le bord de la route, des femmes criaient, pleuraient, affirmant que tous les hommes avaient été tués... Le soir, dans la pagaille, Mme Chawki s'est enfuie avec ses enfants vers le quartier de la caserne El Hélou. Au petit matin, elle a laissé ses enfants dans une école avant de repartir à pied vers la Cité sportive pour s'enquérir du sort de son mari et de son fils. Elle n'a pas pu parler à l'un des officiers israéliens présents. Elle a entendu des ordres donnés en arabe pour que les hommes fassent tamponner leurs cartes d'identité, et vu un camion israélien plein d'adultes et de jeunes gens. Une femme en sanglots, qui a perdu toute sa famille, lui a montré l'endroit où étaient déversés les cadavres. Les deux femmes ont alors marché vers le quartier d'Orsal et enjambé des morts libanais, syriens et palestiniens. Mme Chawki dit en avoir vu des centaines. C'est effectivement le quartier d'Orsal qui a compté le plus de victimes.


Ils étaient méconnaissables. Visages déformés, gonflés... J'ai vu vingt-huit corps d'une même famille libanaise, dont deux femmes éventrées... J'essayais de repérer les vêtements de mon fils et de mon mari. J'ai cherché toute la journée. Je suis revenue encore le lendemain... Je n'ai reconnu aucun cadavre de gens de Bir Hassan.

Mme Chawki a vu des soldats libanais creuser des fosses pour y pousser les cadavres... Elle n'a jamais retrouvé ceux de son mari et de son fils. Elle aborde plus difficilement le cas de sa fille qui a été violée...

Je pense à tout cela nuit et jour. J'ai élevé seule mes enfants... J'ai été obligée de mendier. Je n'oublierai jamais. Je veux venger tout cela. Mon cœur est comme la couleur de ma robe. Je transmettrai ce que j'ai vu à mes enfants, à mes petits-enfants...





Sous les injures

Après avoir circulé dans un incroyable dédale de toutes petites ruelles, où pendent partout des fils électriques, où courent au sol des canalisations d'eau, j'arrive enfin dans un local de trois ou quatre bureaux. Dans l'un d'eux, tout au fond, Mme Siham Balkis, présidente de l'Association du retour, est assise, droite, derrière un petit bureau. Egalement assis autour de la pièce, un responsable palestinien et deux autres survivants. Mme Balkis, la quarantaine, est une militante engagée et déterminée. Sa famille est originaire de Kabé, dans la province d'Akka, en Israël. Elle commence son récit recto tono.


 Le massacre a commencé le jeudi soir vers 17 h 30. Nous n'y avons pas cru... Nous sommes restés à l'intérieur de notre maison jusqu'au samedi matin et n'avons pas su grand-chose, sinon que, jeudi et vendredi, un petit groupe de Palestiniens et de Libanais ont essayé de se défendre, mais ils n'étaient pas assez nombreux et n'avaient pas assez de munitions. Nous avons vu, la nuit, des fusées éclairantes et entendu des coups de feu. Nous croyions que les Israéliens voulaient seulement s'en prendre aux combattants et trouver leurs armes... Quand tout est redevenu calme, le samedi matin, nous sommes montés sur le balcon et avons aperçu un groupe des Forces libanaises (FL) accompagné d'un officier israélien. Les Libanais nous ont crié de sortir. Ce que nous avons fait, sous les injures. L'Israélien avait un talkie-walkie. Un des Libanais le lui a pris et a dit : « Nous sommes arrivés à la fin de la zone cible. »

Mme Balkis est sûre qu'il s'agissait d'un Israélien car, dit-elle, il avait un badge en hébreu et n'avait pas un visage d'arabe. Il parlait avec les Libanais en français.

Avec d'autres elle a été emmenée vers l'hôpital Gaza. Leurs accompagnateurs ont rassemblé les médecins étrangers et les gens qui s'étaient abrités dans et autour de l'hôpital.

Ils ont tué une dizaine de combattants. Ils ont repéré un jeune Palestinien qui avait revêtu une blouse blanche au milieu des médecins et infirmiers et ils l'ont tué. Quand tout le monde a été rassemblé - des centaines de personnes -, nous sommes partis vers l'ambassade du Koweït. Il y avait beaucoup de cadavres dans les rues. Des jeunes filles avec les poings liés. Des maisons détruites. Des chars, probablement israéliens. Les restes d'un bébé incrustés dans les chenilles de l'un d'entre eux. Avant d'arriver à la Cité sportive, les hommes ont été séparés. Des militaires demandaient aux jeunes gens de ramper. Ceux qui rampaient bien étaient considérés comme des combattants et abattus par des militaires des Forces libanaises. Les autres recevaient des coups de pied... J'ai vu Saad Haddad avec d'autres devant l'ambassade du Koweït. Puis, en arrivant près de la Cité sportive, un grand nombre de soldats israéliens. Un colonel israélien a dit que les femmes et les enfants pouvaient rentrer chez eux. Plus tard, j'ai aperçu mon frère monter dans une Jeep alors que d'autres montaient dans des camions. J'ai couru vers lui. En vain. J'ai entendu un officier dire en arabe : « On va vous livrer aux FL. Ils sauront mieux vous faire parler que nous. »

Tous les témoins racontent grosso modo les mêmes histoires, les mêmes horreurs. J'ai ainsi rencontré Mme Kemla Mhanna, une épicière libanaise du quartier Orsal :




Tous les gens de notre quartier qui sont restés ont été assassinés. En majorité des Libanais. Quand je suis revenue, un monceau de corps étaient empilés. A côté de chez moi, un Palestinien était accroché à un croc de boucher, découpé en deux comme un mouton. J'ai vu comment, dans la grande fosse, on a déposé une première couche de cadavres sur laquelle on a étalé du sable, puis on a remis une couche de cadavres et ainsi de suite... J'ai vu aussi un autre Libanais du quartier Orsal, Hamad Chamas, un des rares survivants du massacre de ce quartier. Il était dans un abri quand sont arrivés deux Israéliens dans une Jeep et sept ou huit soldats. Je suis sûre que ces soldats étaient israéliens car il portaient des uniformes israéliens et ne parlaient pas un arabe correct. Les soldats nous ont demandé de sortir de l'abri en nous injuriant. Ils m'ont donné l'ordre de déposer l'enfant que j'avais dans les bras et de me mettre en rang avec les autres. L'un d'entre eux, qui parlait bien arabe, a fouillé tout le monde et a pris l'argent d'un des hommes, puis ils ont tous tiré sur nous. J'étais seulement blessée à la tête et à la cuisse, sous une pile de cadavres. Il y a eu vingt-trois morts... Je me suis cachée dans un abri toute la nuit. Au petit matin, il y avait une forte odeur de cadavres partout.

La loi de la mémoire

Rien de nouveau dans ces témoignages. Ils ressemblent à ceux que Mme Leïla Shahid, déléguée générale de la Palestine en France, une des premières à visiter les camps après les massacres, a recueillis seule ou avec Jean Genet. Ils sont - aux accidents de la mémoire près - également conformes à ceux des membres (anglais, norvégiens, suédois, finlandais, allemands, irlandais et américains) de l'équipe médicale de l'hôpital Gaza et à ceux qu'ont enregistrés de nombreux journalistes après les massacres.

Elias Khoury, écrivain libanais et homme de théâtre renommé, raconte avec passion le combat impossible pour la mémoire du peuple palestinien en général et pour les massacres de Sabra et Chatila en particulier.

La loi de la mémoire ne fonctionne pas chez les Palestiniens, car les massacres continuent : Deir Yassine, Qibya, Sabra et Chatila, et aujourd'hui Jénine. Il leur est impossible de regarder le passé puisque le passé, c'est encore le présent. Ils sont depuis 1948 dans un mécanisme infernal... Les Palestiniens sont victimes de l'instrumentalisation de la Shoah par le gouvernement israélien. Les normes éthiques s'arrêtent aux frontières d'Israël. Dans ce contexte, l'idée même de la tragédie de Sabra et Chatila devient marginale...

D'autant qu'au Liban la question est taboue : le premier accusé était Elie Hobeika, qui a été ministre du gouvernement...

Les criminels ont pris le pouvoir après la guerre, poursuit Elias Khoury. De plus, les Palestiniens sont devenus les boucs émissaires de la guerre au Liban et ils sont régis dans ce pays par des lois qui n'ont rien à envier à celles de Vichy à l'égard des juifs. Même les chiffres de morts et de disparus demeurent dans le plus grand flou. Ils varient, selon les estimations, de 500 à 5 000. Une historienne, Mme Bayan Hout, essaie depuis vingt ans de combler cette lacune. Née à Jérusalem, où elle a vécu jusqu'à l'âge de 9 ans, professeure à l'université de Beyrouth, cette Libanaise a fait un travail de fourmi auprès des familles des victimes et disparus, analysé des centaines de questionnaires, croisé les listes des organisations humanitaires, de la Croix-Rouge, essayé de retrouver tous les cimetières... Elle est maintenant sûre de ses chiffres : 906 tués de 12 nationalités, dont la moitié de Palestiniens... et 484 disparus, dont 100 ont été sûrement enlevés. Soit un chiffre global de 1 490 victimes identifiées.


Ces massacres et ces disparitions s'inscrivent dans le contexte de la guerre lancée par le gouvernement israélien le 6 juin 1982 pour obtenir la neutralisation de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP). L'invasion du Liban a coûté la vie à plus de 12 000 civils, fait quelque 30 000 blessés et a laissé 200 000 personnes sans abri.

Mi-juin 1982, les Israéliens ont commencé le siège de Beyrouth et encerclé les 15 000 combattants de l'OLP et de ses alliés libanais et syriens. Le président des Etats-Unis, M. Ronald Reagan, a envoyé, début juillet, M. Philip Habib - assisté de M. Morris Draper - pour résoudre cette crise risquant d'embraser le Proche-Orient et de menacer les intérêts américains. Il s'avère rapidement que le règlement de la crise passe par le départ des combattants palestiniens et de M. Yasser Arafat de Beyrouth. Ce dernier est bientôt convaincu qu'il n'a pas d'autre solution.

Les négociations vont être compliquées parce que les Israéliens et les Américains ne veulent pas discuter directement avec les Palestiniens : Elias Sarkis, le président chrétien du Liban, et son premier ministre sunnite, Chafiq Wazzan, vont servir d'intermédiaires. Parce que les Israéliens vont poursuivre une pression militaire brutale et exiger de M. Arafat une reddition totale et honteuse.

Celui-ci multiplie les offres et cherche à obtenir des garanties de sécurité pour les familles palestiniennes qui resteront au Liban. Il craint les exactions des soldats israéliens ou de leurs alliés phalangistes. Pour M. Arafat, ces garanties ne peuvent être qu'américaines et internationales.

M. Habib obtient finalement l'assurance du premier ministre israélien que ses soldats n'entreront pas dans Beyrouth-Ouest et ne s'attaqueront pas aux Palestiniens des camps ; l'assurance du futur président libanais, Béchir Gemayel, que les phalangistes ne bougeront pas ; l'assurance du Pentagone que les marines seront les garants ultimes de ces engagements. Fort de ces promesses, le représentant de M. Reagan s'engage par écrit sur la sécurité des civils. Deux lettres sont ainsi adressées au premier ministre libanais. Cet engagement américain se retrouvera dans la quatrième clause de l'accord du départ de l'OLP, publié par les Etats-Unis le 20 août, c'est-à-dire à la veille de l'embarquement des premiers combattants palestiniens.

Pourtant, M. Arafat est de plus en plus inquiet du sort des civils palestiniens. M. Habib entreprend une nouvelle démarche auprès de Béchir Gemayel, qui renouvelle ses promesses. Il insiste sur le rôle de la force multinationale composée de 800 Français, 500 Italiens et 800 Américains. Le premier contingent - français - arrive le 21 août et doit assurer l'évacuation et la collecte des armes. Cette force doit rester une trentaine de jours, empêcher tout dérapage et protéger les familles palestiniennes. Finalement, M. Arafat accepte de quitter Beyrouth...

Mais personne ne respectera sa parole. A commencer par le gouvernement américain. M. Caspar Weinberger, secrétaire à la défense, donnera l'ordre à ses marines de quitter le Liban alors même que les milices chrétiennes prennent position, le 3 septembre, dans le quartier Bir Hassan, en bordure des camps de Sabra et Chatila. Le départ des Américains entraîne automatiquement celui des Français et des Italiens. Le 10 septembre, le dernier soldat est parti de Beyrouth, alors que M. Habib avait fondé son plan sur une évacuation entre le 21 et le 26 septembre.

Le 14 septembre, Bechir Gemayel, le nouveau président libanais porté au pouvoir par les Israéliens, est assassiné. M. Ariel Sharon prend ce prétexte pour envahir Beyrouth-Ouest, pour cerner les camps de Sabra et Chatila et encourager les milices libanaises à les nettoyer.

Une « responsabilité personnelle »


A ce jour, une seule enquête officielle a été menée, celle de la commission israélienne dirigée par Itzhak Kahane, le chef de la Cour suprême, rendue publique en février 1983. Elle charge les phalangistes et, dans une moindre mesure, M. Ariel Sharon. Le rapport parle d'abord d'une grave erreur de celui-ci, qui n'a « pris aucune mesure pour surveiller et empêcher les massacres ». Il se dit « perplexe » sur l'attitude de M. Sharon qui n'a pas prévenu Menahem Begin de sa décision de faire entrer les phalangistes dans les camps. Pour finir, il lui reconnaît la « responsabilité de n'avoir pas ordonné que les mesures adéquates soient prises pour empêcher d'éventuels massacres ». M. Sharon porte une « responsabilité personnelle » et « doit en tirer les conclusions personnelles ».

Les journaux israéliens ont publié - en 1994 notamment - de nombreux articles confirmant et amplifiant ces conclusions. Ainsi, Amir Oren, à partir de documents officiels, a, dans Davar du 1er juillet 1994, affirmé que les massacres faisaient partie d'un plan décidé entre M. Ariel Sharon et Béchir Gemayel, qui utilisèrent les services secrets israéliens, dirigés alors par Abraham Shalom, qui avait reçu l'ordre d'exterminer tous les terroristes. Les milices libanaises n'étaient rien moins que des agents dans la ligne de commandement qui conduisait, via les services, aux autorités israéliennes.

L'émission « Panorama », intitulée L'Accusé, qui est passée sur la BBC le 17 juin 2001, a fait progresser la connaissance, notamment grâce au témoignage, difficilement contestable, de M. Morris Draper, l'assistant de M. Habib. Au rappel des affirmations de M. Sharon qu'il ne pouvait prévoir ce qui est arrivé dans les camps, M.Draper s'est contenté de faire un bref commentaire : « Complètement absurde. » Il a raconté sa rencontre, à Tel-Aviv, au ministère de la défense, avec MM. Sharon et Yaron, son chef d'état-major, le jeudi, alors que les Israéliens étaient déjà entrés dans Beyrouth-Ouest malgré leur promesse. M. Amos Yaron a justifié cette décision par la volonté d'empêcher les phalangistes de se retourner contre les Palestiniens après l'assassinat du président Béchir Gemayel. « Notre groupe d'une vingtaine de personnes resta silencieux. Ce fut un moment dramatique. » Précisant que les Etats-Unis avaient refusé la proposition israélienne de déployer les phalangistes dans Beyrouth-Ouest « parce que nous savions que ce serait un massacre si ces gens-là entraient », il ajoute : « Il ne fait aucun doute que Sharon est responsable [des massacres] ; c'est le cas même si d'autres Israéliens doivent partager cette responsabilité. 

L'ancien diplomate américain n'a pas été interrogé sur les responsabilités américaines ni sur celles de l'Italie et de la France, qui ont retiré leurs soldats après le départ des marines...

Vingt ans après, les familles des victimes et des disparus des camps de Sabra et Chatila ont droit à la vérité. Pour pouvoir faire enfin le deuil. Cela ne concerne pas que les familles. Tout le monde a le droit de savoir pourquoi, comment et qui a organisé et exécuté des actes d'une telle sauvagerie.

Pierre Péan

samedi 19 juin 2010

Retour de Chatila



De retour d'une semaine passée à Beyrouth consacrée à plusieurs rencontres avec des responsables d'ONG palestiniennes qui travaillent dans les camps de réfugiés du Liban, je décide de créer ce blog afin de développer notre association "Chatila, les enfants de l'espoir".

Nous sommes partis avec Denys Piningre, l'un des membres fondateurs de l'association et qui est également réalisateur de documentaires, rejoindre une délégation d'une autre association française engagée dans le soutien aux réfugiés palestiniens des camps du Liban, le Comité d'aide humanitaire de la Vallée du Sarthon aux Réfugiés Palestiniens du Liban, CRPL.

Nous sommes arrivés le dimanche 30 mai, c'est-à-dire la veille de la dramatique intervention de l'armée israélienne contre la flottille qui cherchait à livrer de l'aide humanitaire en forçant le blocus de Gaza. Inutile de dire que l'émotion était grande, les manifestations de protestation étaient quotidiennes à Beyrouth et nous avons pu mesurer à quel point les réfugiés palestiniens sont sensibles à tous les gestes de soutien qu'ils reçoivent.

Je reviendrai dans un autre billet sur la situation très particulière que les Palestiniens du Liban connaissent et leurs conditions de vie très difficiles.


Nous étions sur place afin de permettre à Denys d'étudier la possibilité de faire un film montrant le travail du CRPL. Nous avons rencontré leurs correspondants sur place dans les camps de Chatila, de Bourj El Barajnieh près de Beyrouth, Wavell dans la Beka'a et Ain El Houé dans le Sud près de Sayda. Le CRPL est investi principalement dans l'éducation et la formation, la santé et la culture. Les ONG palestiniennes avec lesquelles il travaille sont le NAMSC dirigé par le Dr Raja Musleh, le NISCVT dirigé par Kassem Aina et AJIAL dirigé par Salah Salah membre du Conseil National Palestinien.




Nous en avons profité pour rencontrer nos interlocuteurs habituels de Chatila, les responsables du CYC, Children and Youth Center. C'était l'occasion de présenter à Chatila le film de Denys, "Chatila, les femmes et les enfants". Abou Moujahed et Abeer Kassem, directeur et coordinatrice du CYC ont pu se voir à l'écran. Ils sont deux des personnages principaux du film. J'ai du mal à décrire la réaction au film, mais la discussion qui a suivi était passionnée. Plusieurs intervenants auraient souhaité que le film montre plus de choses de la vie du camp même si leurs sentiments montraient beaucoup de satisfaction de voir qu'un film existait et qu'il va permettre de montrer ce qui se passe chez eux. La vie des réfugiés palestiniens au Liban est très mal connue. Si notre génération connait Chatila par les massacres de Sabra et Chatila, cela ne va beaucoup plus loin. Et les jeunes ne connaissent même pas cette sanglante page de l'histoire du Moyen-Orient. Le film de Denys ouvre une perspective assez large de la situation, le contexte historique est là, la vie dans le camp aussi et surtout les personnages y ont une présence incroyable. Le lien vers le blog de Denys est en page d'accueil, n'hésitez pas à vous connecter.


Lien pour un extrait du film http://www.youtube.com/watch?v=5TrIOZk01MA&feature=digest


Jean-Yves Boiffier